Les Jambes de Steffi Graf by Pierre Cayouette

Les Jambes de Steffi Graf by Pierre Cayouette

Auteur:Pierre Cayouette
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764417690
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2012-12-11T00:00:00+00:00


Le chic du chic, c’est l’anglais

P etit lundi pluvieux. Un pétrolier, que dis-je, un rafiot vénézuélien rongé par la corrosion passe sur le fleuve plus gris et plus sale que jamais. Ma fenêtre entrouverte laisse entrer les odeurs d’œufs pourris des raffineries avoisinantes. Mon jardin a des allures de parc zoologique. Les écureuils ont chassé les cardinaux des mangeoires éparpillées dans le jardin, une marmotte avance lentement sur ma pelouse. Un chat vient d’échapper aux assauts de mon vieux Bémol qui fait peine à regarder, avec ses oreilles de la Sœur volante, quand il revient bredouille.

C’est aujourd’hui que j’entreprends ma carrière de biographe à gages. Émotivement, je suis autant détaché que peut l’être, j’imagine, un tueur à gages. Du temps? Je n’ai que ça, du temps.

Je repense à Mireille avec tendresse. Elle vit en moi. Les souvenirs de nos querelles conjugales récurrentes se sont évanouis, tout comme ceux de ses soirs d’ivresse, alors qu’elle rentrait du journal en toussant et en titubant. Je ne l’entends plus vomir jusqu’aux petites heures. J’ai chassé de ma mémoire tous les combats, toutes les insultes et les invectives, tous les assauts de cette sale petite guerre qu’est la vie à deux. Il ne me reste plus en tête que les moments de paix, les scènes de tendresse ordinaire, les sourires complices.

J’étais tout jeune enseignant lorsque nous nous sommes connus. Jeune reporter impétueuse, elle était venue m’interviewer à l’école dans le cadre d’un dossier-choc qu’elle préparait. Elle avait du culot, un front de bœuf et cela m’impressionnait. Elle posait des questions claires et directes. Sa vivacité d’esprit me plaisait.

J’ai d’abord été frappé par ses cheveux blond cendré très courts, à la Cécile de France. Je l’avais vue arriver en trombe dans la cour d’école, en scooter, et griller une Camel en vitesse avant d’entrer. Elle n’était pas banale. Elle était atypique.

À la cafétéria du collège, les jeunes parlaient anglais entre eux. Tous, ou presque, étaient pourtant des francophones, Québécois «de souche». Mireille l’avait remarqué, elle qui était d’abord venue pour un reportage sur la drogue à l’école. Elle m’a tout de même longtemps interviewé sur le phénomène de la consommation de marijuana. Elle prenait peu de notes, me fixait droit dans les yeux, me relançait lorsque je perdais le fil. Je me croyais important et je jouais le jeu à fond, mesurant chaque mot afin qu’il se retrouve tel quel dans le journal.

— Ce que j’observe, c’est que le niveau de consommation de cannabis augmente. Il n’est pas rare qu’un étudiant me regarde avec des yeux de merlan frit.

Trois jours plus tard paraissait à la une de son journal un reportage intitulé «Au secondaire, le chic du chic, c’est l’anglais ». Pas un mot sur la drogue. Pas une seule citation de mon cru. Rien. Intrigué, je lui ai téléphoné. Je voulais qu’elle m’explique.

Elle m’a donné rendez-vous dans un café, en soirée, après sa tombée. J’ai compris que, dans son métier, il fallait saisir la nouvelle, percevoir l’inédit, être aux aguets, prêt à réviser ses plans.



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